Une préface à un livre qui se présente comme élémentaire ! A quoi bon ? Serait-ce pour répéter encore ce vieux cliché qui affirme avec audace de tout livre nouveau que le besoin s’en fait généralement sentir ? Non ! Nous dirons simplement avec Bentham que ce qui répand une science vaut mieux que ce qui l’avance. Or la science du blason est depuis longtemps définitivement constituée: mais elle est trop peu connue, et mérite pourtant de l’être davantage.
Elle ne regarde pas seulement en effet les personnes titrées, pour qui c’est une question personnelle, mais elle est du plus haut intérêt pour le numismate, l’amateur, le touriste; elle vient en aide aux investigations de l’historien et de l’archéologue; elle est utile, indispensable même à l’architecte, au peintre, au sculpteur, qui ayant des armoiries à exécuter, doit en connaître au moins les principes généraux, pour éviter les hérésies héraldiques trop souvent commises; utile encore et nécessaire aux curés et instituteurs, qui rencontrent ou sur les dalles tumulaires de l’antique église, ou sur le donjon en ruines du vieux castel, ou dans les archives de leur commune, de nombreuses armoiries, documents intéressants et précieux pour une monographie locale.
Mais, en dehors de son intérêt rétrospectif et artistique, nous osons dire que la science héraldique a aujourd’hui encore sa grande actualité . Assertion paradoxale sans doute pour ceux qui croient que les armoiries ne sont plus en harm6nie avec nos idées démocratiques. Quoi donc I A l’heure présente, tous les cantons de la libre Helvétie n’ont-ils pas chacun leur écusson particulier ? Ne voit-on pas les États- Unis d’Amérique arborer partout leur emblème, cette aigle si fière constellée d’étoiles dont les rayons se mêlent pour ne former qu’une seule lumière, avec cette devise significative : E pluribus unum.
La noblesse n’a pas encore répudié, et à juste titre, l’écusson glorieux de ses pères. Tous les évêques de la chrétienté ont leurs armes, et il est permis d’être curieux de savoir les blasonner. Chacune de nos moindres villes de province se glorifie de son blason dont elle a soin d’estampiller les étiquettes plus ou moins pseudologues qui recommandent les produits spéciaux de son industrie. Le pavillon, dit-on, couvre la marchandise.
Et dans Paris, la Ville-Lumière de Victor Hugo, que rencontre-t-on partout ? Des armoiries. Armoiries nobiliaires et de toutes les puissances du globe dans les galeries féeriques du Palais-Royal; armoiries aux étalages des bouquinistes et antiquaires des quais de la rive gauche; armoiries aux enseignes alléchantes et toujours convaincantes qui offrent aux habitués du sport le stout et le whisky; armoiries dans les rues et les boulevards, aux vitrines de tous les fournisseurs du high-life, — mais surtout armoiries de la Ville de Paris, et sur le képi des gardiens de la paix, et sur le gibbus faïence des cochers de la Compagnie parisienne, et sur les monuments publics, et jusque sur le socle de la statue de la République : — il semble qu’au milieu des symboles de noblesse multipliés dans ses murs, Paris veuille renchérir encore, se donner des airs de princesse, et dire avec une morgue tout aristocratique :
Ast ego quee Diwan incedo Regina.
Et c’est quand la cité-mère de la démocratie est ainsi blasonnée, diaprée, émaillée, armoriée de pied en cap, que l’on pourra dire encore que les armoiries ne sont plus de notre temps! Le fait, c’est qu’on ne sait plus les déchiffrer; on parle d’armoiries comme on parlerait d’hiéroglyphes. Cette science pleine d’intérêt paraît n’ouvrir ses arcanes qu’a quelques adeptes privilégiés. Les ouvrages qui en traitent sont rares, chers, diffus et embrouillés. Rendre cette connaissance accessible à tous, la ramener à quelques principes bien coordonnés dans un exposé méthodique, clair, succinct et pourtant complet, tel est le but que nous nous sommes proposé dans cet ouvrage, dont la lecture attentive, ou plutôt attrayante, en apprendra plus en quelques instants sur le blason que l’étude longue et pénible d’énormes in-folio.
Que l’on ne se méprenne point toutefois:
notre livre n’est pas un armorial, mais un exposé des principes héraldiques. Voilà pourquoi, ayant suivi la méthode analytique, nous n’avons employé comme exemples que très peu d’armoiries réelles, toujours complexes. Nous avons fait une exception pour les quatre Grands Chevaux de Lorraine, savoir:
- Du Chatelet (fig. 47),
- d’Haraucourt (fig. 52),
- de Lenoncourt (fig. 61),
- et de Ligniville (fig. 102),
parce leurs armoiries ont un haut intérêt historique et sont d’ailleurs très simples.
Après la lecture de ces éléments, on pourra facilement lire toute armoirie qui se présentera; puis, à l’aide du dictionnaire héraldique de Migne, qui n’est pas un traité, mais une nomenclature des divers meubles admis en blason, on pourra déterminer d’une manière précise à qui appartiennent ces armes et l’objet qu’elles décorent.
Enfin, nous avons voulu avant tout rester didactique et élémentaire, et nous avons mis de côté les questions de critique, d’art, d’histoire, d’étymologie, en un mot, tout le côté esthétique. Aussi nous sentons mieux que personne ce qui manque à ce travail, et nous nous proposons de le compléter par une autre publication qui comprendra :
- L’histoire du blason;
- la valeur et la signification des emblèmes employés en armoiries,
ou, si l’on veut, le symbolisme héraldique, car le blason est, mieux encore que l’écriture,
un art ingénieux.
De peindre la parole et de parler aux yeux.
Nous y ajouterons une courte notice sur les ordres de chevalerie et leurs insignes, et des études sur quelques armoiries particulières importantes.
Puisse l’accueil bienveillant fait à ce petit livre nous encourager à publier bientôt le second volume, dédié à ceux qui désirent faire une étude plus complète de l’art héraldique.
NOTIONS PRÉLIMINAIRES
La science du blason, ou simplement le blason, qu’on nomme aussi l’art héraldique, est l’art de connaître, de décrire et d’expliquer méthodiquement les armoiries1
On entend par armoiries les figures emblématiques qui couvrent l’écu d’un gentilhomme Ces signes étaient des marques d’honneur, composées de couleurs et de figures fixes et déterminées, destinées à marquer la noblesse et à distinguer les familles qui avaient le droit héréditaire de les porter.
On leur a donné le nom d’armoiries, parce qu’ils se répétaient sur les armes, boucliers, cottes d’armes, pennons, et qu’ils ont commencé et servaient à la guerre et dans les tournois.
Dans les armoiries, il y a deux choses à considérer: l’Écu lui-même, et en second lieu les ornements extérieurs qui raccompagnent ordinairement.
De là notre ouvrage sera divisé en deux parties:
- L’étymologie la plus probable du mot blason, est le verbe allemand blasen, qui signifie sonner du cor, parce que le héraut d’armes dans les tournois, vérifiait et proclamait à son de trompe, les armoiries des chevaliers qui se présentaient pour la lice. De là: blasonner. Nous donnerons plus de détails à ce sujet dans un second ouvrage. [↩]